La route des épices de Ceylan
Pour nous, passagers du XXIe siècle, les épices sont conçues pour aromatiser nos aliments. Mais jusqu'à la banalisation du réfrigérateur, leurs pouvoirs antibactériens en faisaient des conservateurs précieux, dont le goût puissant tempérait ceux des viandes faisandées et des poissons voguant aux limites de leur fraîcheur. En Asie, leurs qualités gustatives seraient plutôt un prétexte à s'administrer des médications qui améliorent la vie et accroissent la longévité.
Dès qu'elle a vent de leurs vertus, l'Europe se met en quête de ces épices. La route est longue, risquée. Cela pèse sur les prix exigés par ceux qui "tiennent" la filière, tels les habiles marins arabes. Mais à la Renaissance, les Portugais maîtrisent suffisamment la navigation vers l'Orient pour casser leur monopole sur Ceylan. Dans "l'île aux Epices", les nouveaux venus achètent à vil prix cannelle, cardamome et poivre. Au XVIIe siècle, les Hollandais prennent le relais, améliorant les cultures, en introduisant d'autres. Les Britanniques poursuivent ces efforts au XIXe. De nos jours, les épices du Sri Lanka alimentent le marché du luxe et se situent dans le haut de gamme.
Le poivre, roi des jardins d'épices
Aujourd'hui, dans les routes de montagne autour de Kandy, vous tombez presque à chaque tournant sur quelque "spice garden", jardin secret d'un modeste propriétaire. Il y accorde toute son attention : ce qui y pousse égayera la cuisine familiale. L'excédent sera vendu au marché - à moins d'être soigneusement emballé pour séduire le touriste qui s'arrête et musarde dans l'échoppe improvisée sous un appenti. En ville, et dans les marchés, il existe des commerces spécialisés avec un choix immense.
Épice-reine de l'île, le poivre grandit sur des lianes, en menues grappes aux airs de petites groseilles. Venu de l'ouest de l'Inde, c'est le condiment le plus consommé dans le monde. Cela explique qu'il en existe tant de variétés, dont certaines (comme le timur) n'ont de poivre que le nom. Au Sri Lanka, c'est avant tout le Piper Nigrum qu'on cultive ou cueille dans les forêts sauvages. Il s'appelle "poivre noir", mais sa couleur varie en fonction de sa maturité. En réalité, poivre noir, vert ou blanc appartiennent à la même espèce. Il faut l'utiliser en petites quantités car elle est puissante, et le conserver en grains en ne le moulant qu'au dernier moment si l'on veut jouir de toutes ses touches fruitées et de son tranchant.
Quelques autres épices
Comme le poivre, la vanille est une liane. Il ne faut acheter sa gousse que lorsqu'elle est encore souple et luisante. On la conserve parfaitement dans un tube de verre fermé hermétiquement. Autre gousse, petite et trapue, la cardamome (enasal en cingalais et Elettaria Cardamomum de son nom botanique) héberge des graines perlées et sucrées. Vous la retrouverez dans le thé au lait et la pâtisserie, tout comme la cannelle.
La cannelle de Ceylan (Cinnamomum Zeylanicum) ou vraie cannelle (Cinnamomum Verum) est la plus réputée du monde. Vous la reconnaîtrez tout de suite à son brun pâle : c'est l'écorce interne de l'arbuste - qui s'enroule sur elle-même. On l'emploie en bâton ou en poudre, en cuisine, mais également en parfumerie. Jadis, elle était saupoudrée sur les bûchers funéraires des hauts personnages insulaires.
En banlieue de Colombo, se trouve Kurundu Vaththa, "Jardin de la Cannelle". C'est la résidence du Premier ministre, mais à l'époque hollandaise, c'était la plus vaste plantation de canneliers de l'île. Une caste particulière, les chaliyas, était chargée d'éplucher l'arbre et de l'expédier vers Amsterdam. Actuellement, les grandes exploitations de canneliers sont plutôt autour de Matale, dans le centre, et où se trouve le jardin national d'épices.
Le "clou" de girofle (karabunati), elle, est une fleur en bouton, celle de l'arbre Syzgium Aromaticum. Ce condiment est aussi utilisé en dentisterie pour désinfecter et calmer les maux de dents. La noix de muscade (sadikka) ou, plus correctement, la noix muscade ("noix au parfum de musc") est le noyau du fruit du muscadier (Myristica Fragrans). Elle est originaire des Moluques.
Le piment, base du curry
Même si pimenta veut dire "poivre" dans plusieurs langues du monde, le piment (Capsicum) n'a aucun point commun avec celui-ci. Ce fruit est plutôt un cousin du poivron. Il est employé entier, en poudre, fraîchement haché, ou en graines, qui contiennent le plus de substance qui "pique", la capsaïcine. C'est la base de tout curry.
Car le curry n'est pas une épice, mais un mélange d'épices, qui varie avec chaque foyer. Y entre par exemple la coriandre (kottamalli), moins employée ici en feuilles qu'en graines, ou le fenugrec (uluhal), graine anguleuse déjà connue dans l'antiquité gréco-romaine. Autre ingrédient, la racine du précieux gingembre (inguru). Ses nombreuses vertus rivalisent avec celle d'une autre racine, le curcuma (kaha). Dernier ingrédient du mélange, le cumin (suduru). On en cultive aussi une variété plus douce, le maduru, destinée aux plats sucrés ou distillé en alcool rappelant le kummel alsacien.